I
Tel le vent ou l’esprit, il courait autour du monde.
Quand il était humain, la Terre était solide et limitée à l’horizon. Quand il était soucoupe volante, c’était un entrelacs complexe de triangles et de cubes mouvants. La Terre émettait une lueur terne de couleur châtaigne et argent. Ses formes triangulaires et ses cubes creux étaient plus petits que ceux de l’eau. Le Gulf Stream avait la même couleur que le reste de l’Atlantique, mais les cubes orbitaient plus étroitement autour des triangles.
Les nuages de vapeur d’eau étaient semblables à des champignons. Le smog était un troupeau de formes pareilles à des poissons-lunes. L’air pur, fort rare au demeurant, ressemblait à la neige sur un écran de télévision mal réglé. La pluie et la neige véritable formaient des polyèdres, mais l’une était azurée, et l’autre orange foncé.
Voilà ce qu’il « voyait » de la stratosphère. Lorsqu’il se rapprochait du sol, les triangles et les cubes se mêlaient, s’immobilisaient, prenaient toutes les teintes du vert. Les arbres étaient des pyramides renversées, ils ressemblaient plus à des tumeurs du sol qu’à des entités indépendantes.
Parfois, il ralentissait et s’approchait tout près d’une maison. Il « regardait » par les fenêtres. Les chiens ressemblaient à de l’astrakan ; les chats, à des jets de gaz ; les humains, au symbole du dollar ou à des pyramides pourvues d’un œil unique et écarlate, changeant sans cesse de volume.
Donc, il parcourait sans cesse l’espace, et jamais il ne rencontrait un être de sa race. Il aurait peut-être dû accepter l’« invitation » de sa mère, ce qui lui aurait permis de se rendre sur quelque lointaine planète où elle eût été à la fois son guide et son compagnon. Il savait maintenant qu’il ne trouverait jamais l’un de ses frères, dût-il vivre mille ans. A moins qu’il n’en découvrît une douzaine dans la même journée. Ou plutôt dans la même nuit, puisque c’était cette période qu’il choisissait pour voler. Le jour, il se contentait de marcher sur ses deux jambes.
Il ne dormait pas. En se métamorphosant, il perdait le besoin de dormir. Dans son corps transformé, quelque chose éliminait automatiquement les toxines accumulées lorsqu’il était bipède.
Étoile filante, il fonça vers son immeuble, ralentit telle une comète à la chevelure blanc-bleuté, s’arrêta devant la fenêtre ouverte et entra. La transition fut si rapide qu’aucun œil humain n’aurait pu la saisir. Et c’est ainsi qu’il recouvra la forme en laquelle des millions d’individus auraient reconnu Paul Eyre.